ma jeunesse a la colonne randon

Bonne et mauvaise conduite

 

 

 

 

                                                                                                             BONNE ET MAUVAISE CONDUITE

                                                                                                                                                                           BÔNE son Histoire

                                                                                                                  Par Louis ARNAUD

 

 

 

 

          AVANT 1832, il n'y avait à Bône, comme eau potable, que celle que l'on tirait des puits situés à l'intérieur de la Ville.

          Ces puits étaient assez nombreux ; le plus important (qui existe encore) était dans l'impasse d'Alger, non loin de la Place d'Armes.

          Ils étaient largement suffisants pour assurer la satisfaction des besoins de la population qui, à cette époque, n'atteignait pas deux mille habitants.
          Il n'en fut plus de même, trois mois après l'arrivée des Français. Les troupes de la garnison, dont l'effectif dépassa rapidement cinq mille hommes, affectèrent gravement la question de l'alimentation en eau potable de la Ville.

          Les autorités françaises se préoccupèrent donc de cette question, dès les premiers jours.

          Les puits existants furent l'objet de tous les soins on en fora de nouveaux et, le Général Commandant la Subdivision prit même, en 1836, un arrêté prescrivant que chaque maison devait être pourvue d'un puits ou d'une citerne,
          Hélas, les citernes furent généralement mal entretenues et les terrasses qui permettaient le ramassage des eaux pluviales n'étaient presque jamais assez propres pour éviter que les eaux ne fussent polluées.

          En 1835, le Général d'Uzer, pour parer à ces inconvénients, majeurs au point de vue de l'hygiène et de la salubrité, fii construire un aqueduc pour amener les eaux de l'Oued-Forcha qui coule au flanc de l'Edough, tout près de l'Hospice Coll, jusqu'à la Colline des Santons.

          Le Général Randon, dix ans plus tard, compléta l'oeuvre de d'Uzer en remontant plus haut, dans le Massif, pour capter le plus grand nombre possible de sources, qu'une conduite en tuyaux de fonte devait collecter pour que leur eau puisse ensuite être dirigée sur le vieux chàteau-d'eau de la rue d'Armandy qui n'existe plus aujourd'hui.

          Le Général Randon, s'il ne put assister à la réalisation de cette entreprise, eut du moins, la satisfaction de voir arriver à Bône, avant son départ qui eut lieu le 7 juillet 1847, les premiers éléments de cette conduite qui fut certainement l'une des premières du genre en Algérie.

          La " Seybouse " du 4 août 1847 indiquait, en effet, que " les tuyaux pour cette conduite d'eau, commandés " depuis longtemps, et qui devaient être rendus à Bône, en octobre ou novembre 1846, ne sont arrivés qu'au mois de juin dernier et ne sont pas encore entièrement livrés.
          " L'expédition, ajoutait le même journal, par les " Maîtres de Forges a été tardive et préjuciable à la population.
          " Le placement des tuyaux est commencé, et se poursuit avec activité. 

Mais ce travail ne pourra être achevé qu'au mois de septembre prochain ".
          Et le même journal profitant de l'occasion pour regretter encore " le peu de soins pris généralement par les habitants pour l'établissement, l'entretien et la propreté des citernes, réservoirs domestiques, dont à toute époque, l'utilité a été précieuse ".

          Cette conduite, plus que centenaire, est encore en place.

          Elle fut longtemps la seule à assurer les besoins de la Ville.

          Elle descend en pente rapide le long du flanc de la montagne, de si haut que l'eau parvenait sans peine à remonter jusqu'au vieux château-d'eau de la rue d'Armandy, point le plus élevé de la Ville, sans qu'il soit nécessaire d'utiliser une pompe élévatoire pour l'y amener.

          Puis, elle était distribuée à tous les étages des immeubles de la Ville.

          Mais tout cela est au passé, car la conduite a perdu son importance de jadis et le château-d'eau de la rue d'Armandy a été démoli entièrement.

          La conduite d'eau de l'Oued-Forcha avait un débit suffisant pour alimenter la Ville tant qu'il n'y eut pas plus de 25.000 habitants.
          Elle recueillait alors le débit de 176 sources soigneusement captées et entretenues.
          Pour veiller sur elle, les fontainiers chargés de ce soin avaient établi un chemin qui suivait exactement le trajet des tuyaux de fonte.
          Ce chemin qui grimpait littéralement jusqu'à près de huit cents mètres d'altitude était communiment appelé " Les cinq cents escaliers ". Il permet encore, bien que mal entretenu, d'escalader très rapidement la montagne pour arriver à Bugeaud.

          Aujourd'hui, la conduite d'eau de l'Oued-Forcha est presque totalement abandonnée.
          Mais les tuyaux de fonte placés, en 1847, contre le flanc de la montagne sont toujours là, aussi solides qu'au premier jour.
          Ils ont été, justement à cause de l'excellent état dans lequel ils se trouvaient après presqu'un siècle de service, la cause d'une révolution du Palais, c'est-à-dire d'une rupture, non de conduite, mais de l'équilibre municipal de la Ville.
          Cette histoire vaut d'être contée, car elle est tristement révélatrice des moeurs d'une époque.
          La conduite de l'Oued-Forcha étant devenue insuffisante, il avait fallu aller chercher, jusqu'à 56 kilomètres, à Blandan, l'eau nécessaire à la population qui s'accroissait rapidement.
          Un peu avant la fin du siècle dernier, une conduite en ciment Pavin de La Farge, avait été construite pour amener cette eau des sources de Bouglès à Bône.
          Cette conduite, hélas, ne dura pas plus d'un quart de siècle.
          Insuffisamment étanche, le ciment au contact permanent de l'humidité se désagrégea rapidement et de grandes quantités de liquide se perdaient ainsi dans la plaine avant de parvenir à Hippone, dans les fameuses citernes d'Hadrien.
          Il n'y avait aucune façon de remédier à ce lamentable état de chose.

          Il fallait faire une conduite nouvelle.
          Le Maire de la Ville, Ferdinand Marchis, comparant la désastreuse expérience de la conduite en ciment armé qui n'avait pas duré vingt-cinq ans, avec l'excellent état des tuyaux
de fonte de l'Oued-Forcha qui servaient alors depuis quelque quatre-vingts ans, avait décidé de remplacer les vieux tuyaux de ciment qui s'effritaient lamentablement par des tuyaux de fonte. Ceux-ci avaient fait leur preuve et on pouvait être assuré qu'on n'aurait pas, avec eux, les mécomptes et les déboires que la conduite en ciment avait provoqués.
          Cette sage décision ne fut cependant pas du goût d'un groupe d'affairistes locaux qui évoluait tant dans les conseils qu'autour de l'Hôtel de Ville, à l'affût de bonnes affaires à faire.
          Ce consortium avait lié partie avec des fabricants de tuyaux en ciment armé qu'ils espéraient imposer pour la construction de la nouvelle conduite.
          Mais le Maire de la Ville tenait à la fonte, et il était tenace et honnête. Il était donc impossible de composer d'aucune manière avec lui.

          La coalition attendit patiemment le départ du Maire en vacances annuelles, pour se livrer, grâce à la complicité du 1"' Adjoint remplaçant le Maire absent, à une offensive brusquée pour enlever au Conseil municipal une décision favorable au ciment armé.
          La lutte fut épique et rude, et le Conseil finalement refusa de prendre la moindre décision pendant l'absence du Maire.
          Mais l'affaire avait été chaudement disputée et ce ne fut que grâce aux amis de Ferdinand Marchis que la petite " combinazione " des affairistes échoua.
          En effet, lorsque Ferdinand Marchis revint de France il mena rapidement à bonne fin la conclusion de cette affaire et la conduite de Bouglès fut reconstruite en tuyaux de fonte de l'Usine de Pont-à-Mousson.
          Mais si la ville de Bône trouvait un profit évident dans cette sage solution, les affairistes qui n'étaient dans les avenues du Pouvoir que pour y trouver des profits, avaient perdu une excellente occasion d'en réaliser de sérieux.
          C'est alors qu'ils décidèrent de mettre Ferdinand Marchis dans l'impossibilité de les empêcher désormais de spéculer sur les entreprises communales.
          Le renouvellement du Conseil municipal approchait. La conspiration s'organisa sournoisement, et, en 1925, Ferdinand Marchis fut battu par ceux qu'il avait empêchés de trahir les intérêts de la Ville.

          Depuis le début de novembre dernier des bandes rebelles se sont attaquées par trois fois, et tout récemment encore, sans trop grand dommage heureusement, à cette conduite, espérant ainsi priver d'eau une ville de plus de cent vingt mille âmes.
          La conduite qui parcourt près de soixante kilomètres, dans une région propice aux méfaits, pour venir des sources de Bou-Glès et de Bou-Reddine aux citernes d'Hippone aurait été particulièrement vulnérable si elle n'avait pas été constituée par de solides tuyaux de fonte.
          On peut aisément envisager l'étendue de la catastrophe qui se serait abattue sur la ville, si le consortium d'affairistes de 1923 avait pu parvenir à ses fins.
          Une conduite en ciment qui, sur une telle distance, passe souvent presque au ras du sol et parfois même à découvert aurait pu être entièrement détruite par de multiples équipes armées de simples pics, opérant simultanément, en une seule nuit et il aurait été impossible d'apporter le moindre remède, à l'oeuvre de destruction des nouveaux vandales.

 





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